Qu’en dit-on chez nos voisins ?

18 05 2009

Par Lise TAMAGNO

Depuis quatorze semaines maintenant, la mobilisation universitaire agit au travers de manifestations partout en France. À l’instar des lois relatives à l’enseignement de la maternelle à l’université qui ont en premier lieu déclanché ce mouvement, la médiatisation jugée plus qu’insuffisante par les protagonistes de cette mobilisation a accentué la grogne, la grève ou le « rêve » général, selon le point de vue que l’on adopte ou que l’on veut nous faire adopter.

Il n’est pas question ici de rentrer dans le débat du pourquoi et du comment de cette discrétion médiatique, mais plutôt de tenter, via une recherche très simple, de comprendre comment nos pays voisins perçoivent ce mouvement contestataire. On a souhaité effectuer une recherche similaire via la version étrangère de google-image des pays frontaliers. Dans la barre de recherche google.fr ; uk ; es ; it ; de ; ch ; on a entré dans les langues des pays mentionnés les mots clefs « manifestation étudiante paris 2009 » (la France se réduisant bien souvent à sa capitale chez nos voisins, les résultats sont plus probants si l’on cible les manifestations parisiennes).

Cette recherche vise à mettre en évidence plusieurs éléments. Premièrement, en fonction du nombre de réponse à cette demande, on cherche à constater l’ampleur de la médiatisation de ce mouvement chez nos voisins. Deuxièmement, on cherchera à savoir s’il existe, au travers des images trouvées et sélectionnées, une vision commune de ces manifestations. Enfin, on cherchera à identifier d’éventuels points communs entre les images de ces manifestations dans la presse française comparée à celle des pays frontaliers.

La première chose notable que l’on remarque suite à cette recherche est le nombre presque insignifiant d’images effectivement relatives à ce mouvement qui apparaissent sur la toile. En effet, sur une page « google image », sur vingt résultats, en moyenne seules cinq à sept photographies correspondent réellement au mouvement de contestation actuel. Les autres photographies qui apparaissent à l’écran correspondent soit à des images datant de manifestations antérieures (Mai 68, CPE ou émeutes de 2005) ou bien à des mouvements similaires ayant eu lieu dans le pays concerné. Même en affinant et précisant les critères de recherche, les réponses images ne sont pas plus pertinentes.

À cette première observation, il convient d’en ajouter une deuxième. Les premiers résultats ayant trait au mouvement actuel proviennent de diverses sources, mais très peu sont des sources journalistiques. Si l’on ne sélectionne que les photographies parues au préalable dans la presse (papier ou internet), il reste au mieux une à deux photographies sur la première page de résultat google-image (les pages suivantes étant évidemment de moins en moins pertinentes, leur nombre va décroissant). Les autres photographies sont pour la majorité tirées de blogs (étudiants étrangers résidant en France par exemple et donc photographes amateurs) ou alors ils proviennent de sites de partage de photographies tels que FLIXR.

Par ailleurs, et afin de clarifier la recherche, il convient d’éliminer les résultats tirés de google.ch car ils correspondent soit en français au résultat de la page google-image.fr ou en allemand à ceux de la version allemande. On constate par ailleurs que nos voisins latins ne sont pas vraiment informés sur l’étendue de ce mouvement. En effet, les résultats de recherche y sont les plus restreints et ne correspondent presque jamais. De plus, et contrairement à nos voisins anglo-germaniques, les crédits photographiques ne sont presque jamais donnés.

La sélection faite ici comportera donc uniquement les premières photographies se rapportant au mouvement de ces dernières semaines et ayant été de préférence publiées dans un organe de presse. De cette manière, on se propose d’étudier des images certainement vues par un plus grand nombre.

Tour d’horizon

Par l’Espagne …

« Une manifestation d’étudiants à Paris se termine par des altercations et quatre arrestations » tiré de Publico.es, EFE/Archivo - París, 18/03/09

« Une manifestation d’étudiants à Paris se termine par des altercations et quatre arrestations » tiré de Publico.es, EFE/Archivo - París, 18/03/09

Cette photographie accompagne un article du 18 mars 2009 intitulé « Una manifestación de estudiantes en París acaba con altercados y cuatro detenidos » (Une manifestation d’étudiants à Paris se termine par des altercations et quatre arrestations) tiré du journal en ligne Publico.es

L’image associe donc les manifestations étudiantes et la répression policière violente. Cette photographie chaotique rend compte d’un désordre au sein même de la manifestation. L’enchevêtrement des bâtons et des jambes des policiers, le mouvement dû aux personnes qui courent ou dans une position de déséquilibre accentue cette idée de désordre violent. Et pourtant, on constate dans un second temps que la photographie qui illustre l’article portant sur les réformes françaises ne représente pas du tout une manifestation parisienne mais madrilène. Un lecteur peu attentif peut donc croire voir l’illustration d’une altercation entre étudiants et policiers français alors qu’il s’agit de policiers espagnols tentant d’arrêter des étudiants madrilènes. La légende qui accompagne l’article est la suivante : « Un miembro de la Policía española intenta reducir a un estudiante durante una manifestación convocada en la semana pasada en Madrid por las asambleas de estudiantes contra el Plan Bolonia, el modelo de implantación del Espacio Europeo de Educación Superior. En París, una manifestación similar también ha terminado con altercados. » (Un membre de la police espagnole tente d’arrêter un étudiant lors d’une manifestation, convoquée la semaine dernière à Madrid par les assemblées étudiantes, contre le Plan de Bologne, le modèle de l’implantation de l’espace européen de l’enseignement supérieur. À Paris, une manifestation similaire s’est terminée par des altercations). Les crédits photographiques précisés à la suite (EFE/Archivo – EFE – París – 18/03/2009 10:39) n’éclaircissent pas la situation puisque la date est celle de l’article alors que les photographies tirées d’archives ne sont, elles, pas datées.

Par l’Italie …

« France : des étudiants dans la rue contre la réforme de l’Université » tiré d’Internationalia.net, article de Klaus Eisner, 12/02/09

« France : des étudiants dans la rue contre la réforme de l’Université » tiré d’Internationalia.net, article de Klaus Eisner, 12/02/09

Parue dans Internationalia.net, cette image accompagne un article datant du 12 février 2009, signé par Klaus Eisner et intitulé « Francia: studenti in piazza contro la riforma dell’università » (France : des étudiants dans la rue contre la réforme de l’Université).

Si cette photographie possède une esthétique qui attire l’oeil, par la couleur, la composition, le mouvement, ainsi que les éléments textuels (en italien) internes à l’image, elle ne rend pas pour autant réellement compte des manifestations étudiantes des dernières semaines à cause notamment du manque d’informations associées à l’image. La légende « active » de la photographie est « bellaciao-bastille » mais ne précise pas le crédit photographique ni la date à laquelle la photographie en question à été prise. On ne peut donc pas être absolument certain que cette image se rapporte effectivement à la mobilisation actuelle. La photographie sépia ne permet pas non plus de savoir à quelle période de l’année elle a été prise, mais elle renvoie à une représentation mentale historique des manifestations française. Le lieu même est révélateur et chargé de symbolisme. La place de la Bastille et la date de Juillet 1830 font référence à deux moments forts de l’histoire révolutionnaire française.

Par l’Allemagne …

«  Plusieurs dizaines de milliers de personnes protestent contre la réforme de l’Université – Les organisateurs parlent de 100 000 manifestants » tiré de Epochtimes.de, AP Photo/Michel Euler, 10/02/09

« Plusieurs dizaines de milliers de personnes protestent contre la réforme de l’Université – Les organisateurs parlent de 100 000 manifestants » tiré de Epochtimes.de, AP Photo/Michel Euler, 10/02/09

Datant du 10 février, cette photographie illustre un article tiré de Epochtimes.de intitulé « Zehntausende protestieren gegen Universitätsreform – Veranstalter sprechen von 100.000 Demonstranten » (Plusieurs dizaines de milliers de personnes protestent contre la réforme de l’Université – Les organisateurs parlent de 100 000 manifestants). Elle est accompagnée d’une légende et du crédit photographique (AP Photo/Michel Euler) : « Protest in Paris am Dienstag » (Manifestation à Paris ce mardi).
Bien que cette photographie soit de source américaine, elle répond pourtant plus que les précédentes à l’esthétique des photographies de manifestation de la presse française. La construction de la photographie qui encadre les visages des manifestants entre les banderoles en haut et en bas est très lisible et l’occupation totale de la photographie ainsi que les banderoles que l’on peut distinguer derrière celle jaune suggèrent une foule nombreuse. Sans prise de position idéologique ou politique, elle rend compte de cette manifestation de façon relativement neutre et compréhensible pour un lecteur allemand, le mot « université » qui occupe un tiers de l’image étant proche de sa traduction allemande « Universität ».

Par la Grande-Bretagne …

« Manifestation étudiante du 29 Janvier », tiré du blog mpavis « The Sciences Po Paris Master of Public Affairs Student Blog »

« Manifestation étudiante du 29 Janvier », tiré du blog mpavis « The Sciences Po Paris Master of Public Affairs Student Blog »

« Paris, France : Un étudiant, vu avec un symbole anarchiste dessiné sur sa veste, marche vers les forces de police anti-émeutes durant une manifestation étudiante contre les réformes de l’éducation nationale » tiré Guardian.co.uk, Ian Langsdon, European Pressphoto Agency

« Paris, France : Un étudiant, vu avec un symbole anarchiste dessiné sur sa veste, marche vers les forces de police anti-émeutes durant une manifestation étudiante contre les réformes de l’éducation nationale » tiré Guardian.co.uk, Ian Langsdon, European Pressphoto Agency

« À Paris, plusieurs centaines de jeunes se sont confrontés à la police à la suite des manifestations d’aujourd’hui. Les forces anti-émeutes les ont dispersés en utilisant du gaz lacrymogène » tiré de Irishtimes.com, Reuters, 19/03/09

« À Paris, plusieurs centaines de jeunes se sont confrontés à la police à la suite des manifestations d’aujourd’hui. Les forces anti-émeutes les ont dispersés en utilisant du gaz lacrymogène » tiré de Irishtimes.com, Reuters, 19/03/09

Pour le cas britannique, on a fait le choix de conserver trois photographies pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les résultats d’images obtenus en langue anglaise présentent un intérêt certain car on peut raisonnablement supposer qu’ils sont accessibles à un plus grand nombre. Ensuite, les trois premiers résultats d’images ici présentés rendent à la fois compte des grands traits caractéristiques des photographies de manifestation (ou du moins, de celles qui nous concernent) ainsi que de la vision que nos voisins ont de celles-ci. Issues de diverses sources, elles permettent d’autant plus de dégager des caractéristiques générales qu’on retrouve certaines sur les pages google-image allemande ou suisse.
La première photographie rend compte de la manifestation du 29 Janvier et est tirée du blog mpavis « The Sciences Po Paris Master of Public Affairs Student Blog ». La source et les crédits photographiques ne sont pas précisés. Elle met en avant la foule des manifestants (plus ou moins dispersés par endroit), le flot des drapeaux et des banderoles que l’on perçoit très étendu grâce à la grande profondeur de champ. Cette photographie est relativement classique des images de manifestations où l’intérêt premier est de mettre en avant la participation d’un grand nombre.
La deuxième est issue du site vi.sualize.us mais provient à l’origine d’un article de Guardian.co.uk. Le photographe est Ian Langsdon de l’European Pressphoto Agency. Elle est accompagnée de la légende suivante : « Paris, France: A student seen with an anarchist symbol drawn on his jacket walks towards French anti-riot police during a student rally against national education reforms » (Paris, France : Un étudiant, vu avec un symbole anarchiste dessiné sur sa veste, marche vers les forces de police anti-émeutes durant une manifestation étudiante contre les réformes de l’éducation nationale). Cet étudiant qui avance tranquillement, les mains dans les poches, vers les CRS met en évidence un rapport de force inégal. Cependant, cette image ne prend pas clairement parti d’un côté ou d’un autre puisque même si l’étudiant est seul et marche pacifiquement vers les policiers armés de matraques et boucliers, il arbore sur son blouson le symbole anarchiste, vraisemblablement un signe contestataire fort.
La dernière est une photographie qui accompagne un article du 19 Mars 2009, paru dans Irishtimes.com, intitulé « Up to three million attend French protests » (Près de trois millions de personnes ont participé aux manifestations en France). Cette photographie de l’agence Reuters est accompagnée de la légende : « Several hundred youths clashed with police in Paris following todays demonstrations. Riot police used tear gas to disperse them » (À Paris, plusieurs centaines de jeunes se sont confrontés à la police à la suite des manifestations d’aujourd’hui. Les forces anti-émeutes les ont dispersés en utilisant du gaz lacrymogène). L’image comporte des signes inquiétants : le feu, une foule agitée, des banderoles rouges, des visages cachés, des hommes qui lèvent le poing… La légende rend encore plus évidente la tension, voire la violence, entre manifestants et policiers.

Au travers de ce corpus d’images, on peut mettre en évidence plusieurs traits caractéristiques et communs à la vision que nos voisins ont de cette mobilisation :
Tout d’abord, les photographies de ces manifestations rendent plus souvent compte d’un état d’esprit, d’une tension palpable plutôt que de la participation stricte à ces rassemblements. Elles sont indissociables d’une certaine confrontation aux forces de l’ordre. Cette première constatation, presque un truisme en soi, est accentuée par les images publiées sur internet. Les étudiants sont confrontés, souvent avec violence, aux CRS. De plus, les légendes accompagnant les photographies insistent sur ce rapport de force, stigmatisant bien souvent un des deux groupes opposants.

Ensuite, on observe que ces photographies renvoient constamment à ce qu’on pourrait appeler une « esthétique de Mai 68 ». Certaines photographies sont en effet visibles sur la toile uniquement en noir et blanc ou bien prises sous des angles improbables, comme si le photographe était pris au milieu d’une mêlée ou comme s’il « battait en retraite ». Ces points de vue sur les manifestations visent de toute évidence à faire croire au lecteur étranger à une confrontation désordonnée si ce n’est violente. Une autre justification (moins biaisée) à ces choix de photographies pourrait être simplement le renvoi à une esthétique qui « parlerait » aux lecteurs étrangers. Nos voisins connaissent non seulement les événements de mai 68, mais ils l’associent également à un certain climat, une certaine tension entre universitaires et Etat. Le choix de ces images double l’impact sur le lecteur qui comprend d’autant plus et plus vite qu’il « connaît » déjà ces images. Le texte attenant vient conforter son impression première. Le problème qui en découle évidemment est le suivant : la situation en France a l’heure actuelle est-elle réellement comparable à celle de Mai 68 ? Le débat est ouvert.


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