Les enseignants grévistes de la toile

30 03 2009

Zoom sur la fonction des photos sur les sites d’information.

par Julie Decanis-Lubrano

le 13/02/2009

Comment les mouvements sociaux sont-ils représentés sur internet ?
Alors que le mouvement de grève des enseignants-chercheurs sévit depuis quelques semaines, les étudiants intensifient leur action, et au printemps 2009, non moins de 55 universités sont bloquées en France.
Dans ce contexte de manifestation intense, les médias n’ont que l’embarras du choix, en ce qui concerne les images à diffuser dans la presse, à la télé…
Nous avons sélectionné un panel d’images pris au hasard des sites internet, mais qui présentait un élément commun, la mise en scène des acteurs de la manifestation. Nous les analyserons, en nous demandant pourquoi ces photos sont-elles intéressantes à diffuser sur un site d’informations ? En effet, la particularité du site est qu’il mêle différents outils interactifs, comme les photos et les vidéos. Dans ce contexte, la photo prend une fonction plus spécifique au milieu de la page web. Nous nous attacherons à déterminer les critères d’appréciation d’une photo pour un site web.

Où sont les images ?

Rue89, site novateur, puisque premier site d’informations gratuit, accessible par tous sur internet. La toile est son seul moyen de diffusion. Comme la plupart des journaux, il fait appel aux agences filaires, telle Reuters pour s’approvisionner en image.
Nous avons ainsi repéré notre première photo, prise par Jacky Naegelen, qui travaille partiellement pour Reuters.

rue-89
L’image était placée au début de l’article, alors qu’une vidéo prend la suite un peu plus loin, et légendée ainsi : « Manifestation à Paris, le 24 janvier 2009 contre les suppressions de postes dans l’éducation. »

La deuxième image quand à elle, est tirée du site de Libération, journal quotidien. Mise en ligne dans un article du 04/02 « A Strasbourg, les manifestants n’ont pas hésité à chahuter la ministre venue inaugurer la nouvelle université ».

libe

Ici, seules les initiales du photographe sont désignées (MP), ainsi que l’agence, toujours la même, Reuters.

Libération est un journal papier quotidien, qui possède un site internet en complément. L’image était placée sous les titres de l’article, alors qu’une vidéo suivait plus loin.
Ici, le photographe est réduit au statut de producteur de l’image, puisque son nom n’est même pas indiqué en entier. On constate par contre le primat de l’agence Reuters dans la diffusion des images, puisqu’une nouvelle fois, la photo provient de cette dernière.

« Manifestation du 19/02 à Strasbourg, à l’appel de la coordination nationale des universités contre la réforme du statut des enseignants-chercheurs. » © Reuters

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La légende de la dernière photo, révèle une fois de plus la présence de Reuters, mais dans le magazine Nouvel Ob’s, le 27 fév dernier, dans un article publié sur internet. Elle est encore situé en haut de la page, au début de l’article, mais n’est pas suivit d’autres éléments illustratifs. Le nom du photographe n’est même pas indiqué.

Que disent les images ?

photo1-rue89
L’image est faite de formes carrées et de lignes verticales. En effet, les pancartes découpent l’image comme un puzzle, compensant les lignes verticales formées par les corps des manifestants. La construction de l’image en permet une lecture rythmée par les pancartes, de haut en bas. (Haut, bas, haut)
Le photographe joue avec les contrastes, utiles pour attirer le regard du spectateur, entre les différences carré et lignes verticales, le sparadrap en forme de croix qui résume ce que la jeune femme revendique, ainsi qu’avec les couleurs.
Ces dernières sont majoritairement sombres, les habits des personnages, le ciel grisâtre, le pavé… Elles contrastent avec la blancheur des panneaux, le message écrit dessus n’en est que plus visible.

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Ici, la construction et le plan serré permettent d’attirer le regard sur l’élément principal, les pancartes.
En effet, sur cette photo, les têtes bandées, qui à première vue, intriguent le spectateur, ne sont que des mises en valeurs des pancartes.
Le regard des trois personnages, droit vers l’objectif, en est une démonstration.
La profondeur de champ pourrait desservir l’image, mais le plan centré montre des panneaux qui barrent littéralement le ciel et donnent  une impression de profusion.
De plus, les slogans sont très lisibles.
La construction horizontale permet une lecture graduelle de l’image, dans la mesure où les slogans sont d’une intensité narrative progressive. (LRU ; Nuages noirs sur l’éducation ; Fac Off Pécresse)
Toutes les couleurs caractéristiques des revendications sont présentes, le rouge et le noir surtout.

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La dernière image est construite en deux blocs horizontaux, constitués par la banderole et les étudiants. La lecture de cette dernière guide le déchiffrage de la photo.
Le plan serré a pour effet de centrer le regard du spectateur sur les personnages, qui sont l’élément principal de la photo.
Les étudiants semblent être pris dans un sentiment d’exultation, ils crient et leurs regards convergent vers un point commun, émus par une même cause.
Par ailleurs, ce qui est très important dans cette image, ce sont les couleurs. En effet, le rouge domine, avec les rappels de la banderole, des nez rouges, ainsi que des couleurs de cheveux des deux filles du premier plan. Les visages des étudiants sont maquillés de blanc, et de noir. Toutes ces couleurs symbolisent la revendication et accrochent l’œil du lecteur.

Explication ou illustration ?

Quelle est donc la fonction d’une photo sur internet ?

Comme énoncé plus haut, l’image est à chaque fois placée sous les titres, en début d’article. Sur les trois sites, nous avons pu constater qu’une vidéo était placée au sein de l’article, un peu plus bas.
La photo prend alors un rôle qui n’est, ni totalement accrocheur, comme sur le papier, ni totalement explicatif. On découvre un aspect nouveau de l’image, sur les sites d’information, c’est-à-dire réduit à de l’illustration. La photo reste un moyen d’accrocher l’œil du spectateur, mais son importance est moindre par rapport aux titres de l’article. En effet, on remarque des similitudes avec le thème de couleurs du journal qui la publie.

L’exemple le plus frappant est celui de Libération, qui utilise une photo assez démonstrative de l’orientation du journal. On repère des ressemblances entre les couleurs symboliques du journal lui-même (le rouge et le noir), et celle de la photo. Or on a déjà analysé plus haut l’importance des couleurs à la symbolique revendicative, pour la compréhension de cette image. Ainsi, il est facile de voir quelle orientation on peut donner à une image sortie de son contexte, et comment la photo permet d’accrocher l’œil du lecteur. D’ailleurs, la légende n’est pas accolée à l’image, mais se trouve bien plus bas sur la page internet. Aujourd’hui ces méthodes d’accroche sont utilisées par tous les journaux, car l’impact visuel est facile à exploiter. Cependant, que se soit sur le papier ou sur internet, la colorimétrie dominante ne change pas.
La vidéo, quant à elle, possède une place privilégiée. Elle remplie une fonction explicative, montre souvent une expert analysant le sujet… Elle n’a pas besoin d’être de bonne qualité, car elle prend la forme d’un témoignage brut. Ici, pas de valeur de l’image pour l’image, alors que la photo, de part le doute qui s’est instauré quant à sa véracité, ne vaut pas comme un témoignage. Si elle n’est pas assez colorée, ou bien construite, alors elle ne trouve pas sa place dans un article sur le net.

Après les années 70, la photo régnante, a progressivement été remplacée par la télé. Aujourd’hui on assiste à une nouvelle évolution. Les deux médias qui étaient alors concurrents, sont désormais liés sur la toile. Un seul média, et plusieurs outils interactifs. L’heure est à la médiation entre toutes ces possibilités technologiques. Pourtant, ce melting-pot des techniques n’entraine-t-il pas la sous-exploitation de chacune ? La vidéo explicative, la photo illustrative, bien rangées dans des cases. N’oublie-t-on pas l’impact que peut avoir une photo journalistique ? Il est dommage que ce domaine ne soit pas pris en compte alors que le net offre des possibilités bien plus grandes que les simples magazines des années 70, ou la télé des années 80.